Si c’est gratuit, c’est toi le produit

Quand l’exploitation capitaliste s’étend aux hommes blancs.

Force est de constater bien des ponts entre les discours des défenseurs des libertés numériques et les analyses féministes intersectionnelles. Les descriptions de l’exploitation de nos données et de notre travail par les GAFAM et autres géants du Net font écho à celles de l’exploitation des femmes et des personnes racisées et minorisées. Faire le pont entre ces analyses pourrait-il nous permettre d’appuyer notre militantisme sur les réflexions et les outils créés contre la domination patriarcale et raciste, pour les adapter aux situations d’exploitation économique capitaliste plus larges ? Lire la suite « Si c’est gratuit, c’est toi le produit »

Nous ne sommes pas vos fantasmes révolutionnaires

Comme les médias nous le répètent pas mal, entre l’affaire Weinstein et les hashtag #balancetonporc et #metoo, nous vivons un moment historique de découverte de l’existence du sexisme. Suite à cette prise de conscience soudaine et inédite, le monde hétérosexuel s’extasie devant un concept novateur : le lesbianisme politique.

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C’est quoi le Care ?

Le Care, c’est un peu un concept fourre-tout, qu’on ne traduit pas en français pour lui permettre de garder un peu de flou. C’est un truc qu’on ressent, quelque part entre l’attention à l’autre, le gif de chaton, l’empathie et le #soutien. On parle de care, sans trop savoir si on fait référence à l’éthique du care, au travail du care, à l’auto-support communautaire, et en faisant un peu référence à tout ça en même temps. Des fois, twitter, ça ressemble à une assemblée de sorcières féministes qui touillent des grands chaudrons de concepts théoriques. Quelle que soit la recette, on versera le résultat dans une petite fiole, posée sur l’étagère des « outils contre le patriarcat », entre les crins de licornes et les racines de Belladone.

Une fois n’est pas coutume, je vous propose de démystifier un peu tout ça, avec beaucoup de Wikipédia, une pincée d’histoire et deux doigts de théorie.

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Et si les « Cafés Vie Privée » étaient paternalistes et exclusifs ?

Le dimanche 2 juillet, dans le cadre du festival Pas Sage En Seine (PSES2017), nous avons présenté la conférence de clôture avec l’équipe du Reset. L’objet de cette conférence était d’expliquer d’abord les raisons qui nous avaient ammené·e·s à créer un hackerspace spécifiquement féministe, et ensuite la manière dont nous rendions l’espace accueillant pour les femmes, queers et personnes minorisées.

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Sortir du placard trans

Je vois passer de plus en plus régulièrement des prises de positions de meufs féministes (cis ou trans), assimilant les mecs trans à des mecs cis, leur attribuant un certain nombre de privilèges liés au genre masculin. Or la réalité des situations des mecs trans me paraît plus complexe que cela.

Bien sûr, je ne souhaite absolument pas ici remettre en question les analyses féministes matérialistes qui utilise les classes sociales d’“hommes” et de “femmes” comme outils pour identifier et critiquer les rapports de pouvoir qui s’exercent au sein de notre société hétéropatriarcale. La question ici est plutôt de savoir comment analyser la position des hommes trans dans les espaces communautaires queers et féministes au sens large.

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Identités en questions

Ces derniers temps, j’ai vu passer pas mal de choses autour des définitions des identités non-binaires et des orientations asexuelles et aromantiques. Dont pas mal de choses assez problématiques.

Je pense que la pensée politique se développe par l’analyse et la critique. Réfléchir aux questions d’identités, d’oppressions, d’orientations, … c’est un cycle de questionnements, de solutions, de critiques, de re-questionnements, d’adaptation de la solution, … Et c’est hyper important que nous gardions entre nous la possibilité de débattre, de se questionner, de critiquer et d’entendre les critiques, … Mais pour ça, d’une part les critiques doivent être constructives (c’est à dire qu’elles doivent faire avancer la réflexion) et argumentées (parce que si tu es seul à comprendre ta critique, on va pas avancer tous ensemble) ; et d’autre part on doit être prêt à se remettre en question, et considérer qu’une critique peut être une invitation à la discussion et pas nécessairement une négation invisibilisante d’un ressenti minoritaire.

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Censure et anorexie: Faut-il censurer les sites pro-ana ?

Le projet de Loi de modernisation du système de santé est passé cet été en procédure accélérée. C’était l’occasion pour plusieurs associations et groupes militants de faire entendre leur voix, et notamment pour ceux qui s’opposent à des amendements introduits dans l’article 5 s’apparentant à une forme de censure des sites internet (ou autres moyens de communication d’ailleurs)1 mettant en avant « la valorisation de la minceur excessive » ou « provoquant une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l’exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé »2.

Des militants se mobilisent régulièrement contre la censure sur Internet, à travers différents projets de Loi, et surtout à travers différents articles spécifiques sans se prononcer sur l’ensemble des projets de Loi concernés. Cause ou conséquence, la rhétorique anti-censure de ces militants est souvent une rhétorique globale, liée au concept de censure dans sa généralité, qui ne s’adapte que rarement aux caractéristiques propres aux pjl dans lesquels s’inscrivent ces articles pro-censure.

Faisons le pari de présenter des arguments spécifiques contre la censure dans le cas précis de sites « valorisant la minceur excessive ».

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Peur de qui ?

Depuis les attaques terroristes de vendredi dernier, tout le monde parle de guerre. Nous sommes en guerre. Je suis en guerre.

Je suis en guerre, mais pas contre les terroristes.

Vendredi 13, 129 personnes ont perdu la vie. 129 personnes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment.

Depuis octobre dernier, 271 personnes trans ont été assassinées, pour ce qu’elles étaient. Elles étaient 226 l’année dernière. D’après le projet TVT, au cours des 8 dernières années, près de 2 000 personnes trans ont été assassinées dans le monde. À ces chiffres, il faudrait ajouter celles qui se sont suicidées, et celles dont la transidentité n’a pas été mentionnée et qui n’ont donc pas pu être ajoutées à la liste des personnes commémorées le 20 novembre pour le T-DoR.

Nous, trans, queers, faisons l’objet de campagnes de harcèlement, d’assassinats, et globalement de négation de nos identités et de privation de nos droits partout dans le monde. La manif pour tous et la monté de violences contre nos communautés qu’elle a engendrée en France au cours des dernières années m’inquiètent bien plus que des attaques terroristes potentielles.

Hier, mercredi 25 novembre, a eu lieu la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes. D’après l’ONU, « 1 femme sur 3 dans le monde est victime de violence physique ou sexuelle. La plupart de ces actes sont commis par son partenaire intime. »

Combien faudra-t-il de morts liés à nos intolérances, à nos phobies, à nos racismes, à notre inaction pour que nous ayons peur de nous-mêmes et de ce que nous devenons ? Quand comprendrons-nous que les attaques du 13 novembre, aussi impressionnantes soient-elles, ne sont rien en comparaisons à ce que nous nous infligeons à nous mêmes entre gens gentils et pas terroristes ?

L’état d’urgence est déclaré, la guerre est partout, parce que ces attaques ont touché des blancs, des hommes, des hétéros, des riches, des éduqués. Parce que des gens qui n’ont jamais eu peur des discriminations et des agressions ont eu peur et ils ont décidé d’appliquer cette peur à tout le monde. Où étaient l’état d’urgence et le renforcement de la sécurité quand il s’agissait seulement de nos vies ? Nulle part. Parce qu’il s’agit de leur sécurité contre nos libertés. Et parce qu’ils n’abandonneront pas leurs libertés et leurs privilèges pour notre sécurité.

Je n’ai pas peur des terroristes. J’ai peur de nous, de notre société, des cathos-fachos, des mecs cis-hétéros-blancs-valides-privilégiés. J’ai peur parce que nous sommes incapables de nous remettre en question et de voir que nous sommes plus violents qu’eux.

Mort de Leslie Feinberg, auteur·e de Transgender Warriors

Leslie Feinberg, blanc·he anti-raciste, de classe ouvrière, de culture juive, transgenre, lesbienne, communiste révolutionnaire et auteur·e de plusieurs livres, est décédé·e le 15 novembre, chez iel à Syracuse1.

Voilà quelques temps maintenant que j’ai entrepris de traduire un de ses livres, Transgender Warriors, en français. A travers ce livre, Leslie Feinberg fait partie des personnes qui m’ont fait comprendre que l’Histoire n’est pas qu’une succession de dates, mais le croisement et la succession des vies de personnes qui me ressemblent plus que je ne l’aurais cru. Et surtout que l’Histoire, comme toutes les sciences, peut être biaisée, interprétée, étouffée, lorsque la classe dominante la raconte, sous couvert d’objectivité. Lire la suite « Mort de Leslie Feinberg, auteur·e de Transgender Warriors »